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Comment vivre ensemble quand on a été longtemps seul ?

La vieillesse amène la solitude. Inévitablement ou presque. La mort du conjoint. La disparition des amis et des proches. Les difficultés croissantes à maintenir les engagements associatifs ou ludiques. Puis le sentiment d’exclusion des espaces publics. Régulièrement des rapports accablants dénoncent la solitude et l’isolement des vieux. Face à cette situation, déménager pour un habitat collectif, former une communauté et vivre ensemble peut sembler une bonne idée.

Sauf que, d’une part vivre ensemble quand on a été longtemps seul est compliqué. D’autre part, le besoin de lien est un besoin de reconnaissance parfois difficilement satisfaisable dans le cadre d’un collectif. Enfin, qui a dit que les vieux ont envie de vivre en collectivité !

Aujourd’hui on se demande si vivre ensemble est une solution efficace contre la solitude. Et une fois n’est pas coutume, je vais être radical et direct. La réponse est non.

Cette semaine nous parlons des besoins relationnels des personnes âgées et nous ferons notamment un focus sur l’animation. Cela intéressera bien sûr ceux qui travaillent en établissement, mais au-delà de ça ce sujet permet d’aborder la question du lien social et de la participation à la vie sociale et citoyenne des personnes âgées. Pensez donc à vous abonner pour ne louper aucun épisode.

Je disais donc que non vivre ensemble n’est pas une solution efficace à la solitude. Pour trois raisons :

  • Il y a un coût d’apprentissage à la vie collective
  • Il peut être difficile d’affirmer son identité dans une communauté
  • Les vieux ne veulent pas vivre ensemble, mais vivre ensemble est la seule solution qui leur est proposée pour sortir de la solitude.

Nous allons regarder de plus près ces trois éléments, les expliquer, puis nous verrons que malgré tout, il nous est possible nous professionnel, d’agir pour que ces éléments ne soient plus un problème et faire que ce levier à notre disposition, la vie collective, satisfasse les attentes relationnelles des personnes âgées.

Les vieux veulent-ils vivre ensemble ?

Commençons par la fin, les vieux ne veulent pas vivre ensemble.

Vous trouvez peut-être que toutes ces innovations d’hébergements collectifs, de petites communautés, de résidences, d’habitats intergénérationnels, etc. sont une bonne idée. Et c’est normal que vous le croyiez, tout le monde loue ces projets et engagements contre la solitude des vieux. Mais, exception faite de la poignée de vieux qui veulent vivre dans un habitat communautaire, les vieux ne veulent pas vivre ensemble.

A priori rien de surprenant puisque si leur désir était de vivre ensemble, il le ferait plutôt que de rester seul chez soi. Mais les choses sont celles-ci : les vieux vivants seuls se sentent seuls, et parfois cette souffrance est si forte qu’elle peut à elle seule justifier l’envie de quitter son domicile. Sauf que face à cette solitude, seule la collectivité leur est proposée. Eux cherchent juste quelqu’un à qui parler, quelqu’un qui les connaît et reconnaît, quelqu’un qui leur accorde de l’attention. Alors lorsque cette collectivité est finalement choisie, parce que, c’est la seule sortie de la solitude qui est offerte, les vieux espèrent qu’elle leur apportera l’attention et les liens qu’ils recherchent. Mais pour l’instant ils en doutent. Pour l’instant le collectif fait davantage peur qu’autre chose. Pour l’instant ils se demandent s’ils pourront être eux-mêmes dans ce groupe.

Comment être soi-même parmi les autres ?

Si vivre ensemble fait peur, c’est parce qu’il semble très difficile d’exister en tant qu’individu dans le collectif. Et nous l’avons déjà vu l’identité est plus que jamais bousculé dans la vieillesse.

Ici la crainte est deux ordres :

  • Première peur, celle d’être perçu comme un vieux par les autres, et donc réduit cette vieillesse dans le regard des autres résidents. Cette peur c’est la peur d’être différent et d’être exclu du groupe en raison de cette différence.
  • Seconde peur, celle d’être un vieux parmi d’autres, vieux. Ici la peur n’est pas la différence, mais son absence de différence, d’être un numéro parmi d’autres , un vieux au milieu d’autre vieux. ET ici aussi l’intégration est impossible puisque ce n’est pas l’individu dans son individualité et son identité qui est intégré, mais juste un résident qui a pour seul point commun avec les autres, sa vieillesse.

Parlons-en de cet élément. Qui a dit qu’il suffisait de mettre des gens du même âge ensemble pour qu’ils se parlent. Le lien se construit par des valeurs, des expériences, des envies communes. Le critère de l’âge est clairement insuffisant. Chacune des résidences services ou autonomie accueille des personnes qui ont entre 70 ans et 100 ans. Attendriez-vous que des personnes de 20 ans se lient, partagent et fassent communauté avec des gens de 50 ans!

Donc oui, encore une fois le collectif fait peur. Oui, encore une fois, les personnes doutent qu’ils puissent satisfaire leur besoin relationnel qui s’exprime davantage en termes de relation interpersonnelle qu’en tant qu’appartenance à une communauté. Sans compter que le collectif ça s’apprend.

Comment vivre ensemble quand on a été longtemps seul ?

Aussi heureux sommes-nous, d’accueillir quelques jours nos parents chez nous, nous sommes également soulagés de les voir rentrer chez eux. Ne culpabilisez pas. Ils pensent la même chose. On a beau s’aimer, vivre ensemble, n’est jamais possible. Et pourtant, s’il fallait le faire, pour une durée plus longue, le temps d’une convalescence ou plus long encore, il faudrait bien apprendre à le faire. Oui apprendre. Apprendre à vivre ensemble.

Et je ne vous parle pas de tolérance, d’ouverture d’esprit, de respect et autres concepts creux de la bien-pensance.

Je vous parle d’une part d’un apprentissage concret, pragmatique, des usages et règles d’usages en vigueur dans les espaces collectifs de la résidence. Qu’est-ce que je peux faire dans cet espace, qu’est-ce qui y ait encouragé, autorisé, toléré, proscrit. Quelles sont les règles qui s’y appliquent ? Et là bien sûr vous pensez aux règles de vies communes qui sont inscrites dans le règlement intérieur. Mais en réalité pas seulement. Les vraies règles qui s’appliquent sont des règles implicites, imposées par quelques-uns et appliquées par un petit groupe de résidents qui fait la loi, respecté par tous. Car c’est ça la réalité de la vie collective, des individus qui se réunissent et forment un groupe, qui imposent des règles informelles qu’ils ont eux-mêmes décidées. Par exemple : Pas de vieux qui dorment dans les fauteuils de l’accueil, ou pas de télé dans le salon à partir de 17h parce que certains jouent aux Scrabbles. Et vivre ensemble c’est comprendre ces règles, apprendre à les respecter.

Et d’autre part quand je parle de l’apprentissage du vivre ensemble, je vous parle également du développement de compétences relationnelles. Car pour que les autres s’intéressent à vous, il faut à la fois que vous vous intéressiez à eux, et que vous soyez intéressant. Deux compétences indispensables, pour tous, mais particulièrement pour les vieux qui vivent en habitat collectif. Alors bien sûr, certains ont développé toutes leurs vies ces compétences voir les ont hérités de leur éducation. Ce sont eux d’ailleurs qui vont appartenir au groupe de résidents qui vont construire les règles informelles des espaces collectifs. Pour les autres, très nombreux, cet apprentissage est difficile, voire impossible. Mais les dynamiques de groupe étant ce qu’elles sont, ceux qui ne parviendraient pas à s’intégrer à ce groupe, pourraient tout de même trouver le lien qu’ils sont venus chercher, si la résidence joue correctement son rôle.

Et le rôle de la résidence et des équipes, c’est justement ce que nous allons voir maintenant.

Que faire en tant que professionnel de la gérontologie ?

Récapitulons. Les vieux veulent sortir de leur solitude. Cette aspiration consiste à renouer quelques liens de valeurs. La seule voit de sortie de cette solitude qu’on leur propose, c’est un habitat collectif, qui propose des espaces communs et des activités en groupe. Ce n’est pas tout à fait ce qu’ils avaient envisagés, mais sans doute que ce collectif offrira les relations qu’ils espèrent. Sauf que, faire partie d’un collectif ce n’est pas tout à fait ce qui leur apporte satisfaction. Puis c’est dur. Il faut apprendre à vivre ensemble. Ce n’est pas donné à tout le monde ni toujours efficace.

Que faire alors, en tant que professionnel, pour satisfaire ce besoin de liens avec cet outil « collectif » qui est à notre disposition ?

1- D’abord, et je l’ai déjà dit, le collectif fait peur. À vos résidents comme à ceux qui aspirent à le devenir. Arrêter de ne penser que collectif. Gommer le caractère collectif de vos plaquettes de communications. Et remplacez-le par la possibilité de créer des liens forts. Idem au quotidien, les animations ne sont plus l’occasion d’être ensemble, mais de passer du temps avec untel ou untel ; le goûter n’est pas un moment de convivialité, mais d’intimité avec sa voisine. Vous pouvez aussi agir sur les espaces. Créer des alcôves, des bulles d’intimités, plutôt que de grandes salles pour être tous ensemble.

2-La personne craint que son identité soit noyée parmi les autres du groupe ou effacée par la collectivité. C’est le serpent qui se mord la queue : réunis parce qu’ils sont vieux, ils n’ont d’autres choses que la vieillesse qui les lie. Or certes ils sont vieux, mais ne sont pas que ça. Ils ont bien d’autres attributs ou centres d’intérêt. Et là, un véritable travail de médiation doit être mis en place par les équipes, pour en apprendre plus sur les résidents et les aider à faire prendre conscience des liens qu’ils partagent sans le savoir.

3-L’apprentissage du vivre ensemble n’est pas de notre registre et malheureusement je pense qu’il est difficile d’agir en ce sens. Pour autant, ce n’est pas si grave, car rappelez-vous que leur aspiration n’est pas le collectif, ils ne veulent pas vivre ensemble. Leur aspiration est de créer quelques liens avec d’autres. Et là nous pouvons une fois encore faire ce travail d’entremetteur.

Et puis, j’en ai pas encore parlé, mais n’oublions pas que les liens que les vieux aspirent à construire ce ne sont pas forcément des liens avec les autres résidents, mais aussi avec leur proche et avec vous !