L’année dernière, dans le rapport annuel des petits frères des pauvres, une information est passée complètement inaperçue : le non-recours aux aides n’a jamais été aussi grand et de nombreuses personnes passent à côté d’une aide humaine qui pourrait leur apporter confort et autonomie !
C’est un sujet important.
D’abord parce que ces aides sont un droit.
Ensuite, puisque dans notre secteur, on a plutôt tendance à dire qu’il n’y en a pas assez !
Enfin, puisque ces aides sont nécessaires à la personne.
Déjà, nous n’avons pas de statistiques exactes et récentes concernant ce sujet. En 2016, la DREES estime que le non recourt au minimum vieillesse est de l’ordre de 50 %, et que probablement 20 % des personnes pouvant bénéficier de l’APA n’en profite pas. Intuitivement, j’aurais plutôt dit l’inverse, d’où la nécessité d’avoir des statistiques fiables pour ne pas faire confiance à son intuition…
Malgré cela, nous savons également que le non-recours aux aides touche davantage les personnes issues des catégories sociales populaires, les moins entourées, les moins “informatisées” qui ont, par conséquent, moins connaissances des dispositifs et moins les ressources pour les solliciter ou se battre pour les obtenir malgré une demande émise.
Le non-recours prend en effet 3 formes :
la non-connaissance,
la non-demande,
la non-réception.
Introduisons maintenant la distinction entre non-recours subis et non recours choisi. Car oui, il faut admettre que la personne peut refuser de solliciter une prestation sociale ou demander de l’aide. Néanmoins, la frontière reste assez floue entre les deux, les sociologues ayant du mal à déterminer si par exemple la non-connaissance est contrainte où est plutôt un désintérêt de la personne. Si la non-demande est subie ou si c’est un refus de s’engager dans une démarche administrative.
Là se dessine un premier modèle de compréhension du non-recours qu’on peut très bien utiliser pour commencer à mieux comprendre le problème.
À noter, vous pouvez même l’utiliser pour essayer de comprendre, par exemple, pourquoi votre dispositif de prévention ne fonctionne pas et identifier des actions correctives en fonctions de votre analyse !
Si j’apprécie l’efficacité de ce modèle, il faut bien admettre quelques limites. La première est celle de la séparation entre choisi et contraint, comme si la réalité sociale était blanche ou noire. Et cette limite est liée au niveau auquel se place cette analyse jusqu’alors, à savoir un niveau politique, tandis que l’enjeu du non-recours se joue aussi (et surtout ?) au niveau psychocomportemental !
D’ailleurs, pour s’en rendre compte, il suffit de parler de refus d’aide plutôt que de non-recours. Ce simple ajustement sémantique change totalement la manière d’appréhender le sujet, et c’est ce que je vous invite à faire maintenant, car si le « non recours » des vieux est peu étudié, le « refus d’aide » beaucoup plus, y compris par Fanny et moi-même !
Avant de nous étonner du non-recours aux prestations d’aides et de crier à l’injustice sociale, nous devrions commencer par proposer une aide ménagère à notre grand-mère !
Parce que oui, ça commence par là.
Comprendre ce qui se joue dans la tête d’une personne quand on lui propose de faire faire par quelqu’un d’autre ce qu’elle a toujours fait par elle-même !
Je ne vais pas m’étendre sur le sujet, car on vous a fait une super vidéo avec Fanny :
À retenir :
On dit “non” quand ça remet notre équilibre identitaire en jeu
On dit “non” quand la balance bénéfices-risques penche du côté du risque.
Le secret ici c’est de vous demander : a quoi dit-elle oui en me disant non ? En refusant, en disant non, elle dit oui à quelque chose qu’elle ne veut pas perdre (c‘est ça le coté “risque” de la balance) !
On vient de finir pour Domitys une recherche intitulée « la prévention pour ceux qui n’en veulent pas ! Psychologie de la prévention seniors », et on a mis ça dans un joli livre blanc produit par la brillante agence Sweet home d’Alexandre. Ça ne sort que dans quelques semaines alors j’aurais l’occasion de vous en reparler.
Mais je n’ai pas résisté à l’envie de vous partager quelques astuces parce que finalement la question est toujours là même : comment convaincre de recourir à notre service, à notre dispositif de prévention, à notre prestation sociale ?
Et pour cela je vous propose aujourd’hui de regarder du côté des objections des personnes, pour comprendre ce qu’elles signifient, quels leviers psychologiques sont en enjeux et quelles actions vous pouvez mettre en place.
Par exemple :
Il s’agit d’un biais de statu quo : le changement de comportement est évalué comme une menace pour notre cerveau qui préfère ne rien changer.
L’enjeu est alors d’instaurer un climat de confiance qui fera baisser la perception du risque en se ré-ancrant, en tant que professionnel comme un allié, un soutien, avec qui on peut parler de tout en toute confiance.
Il s’agit là d’une dissonance temporelle : le temps nécessaire pour obtenir des résultats est incompatible avec le temps que la personne croit avoir à sa disposition.
L’enjeu est alors de modifier la temporalité des résultats en permettant à la personne de percevoir des résultats à court terme, et qu’en attendant ces résultats, elle prenne plaisir dans le nouveau comportement.
La personne identifie le bon comportement, le considère comme une norme, mais ne passe pas à l’action. Pourquoi ? Parce que cette norme parait inatteignable pour elle, du coup, elle culpabilise de ne pas y arriver, et la gestion émotionnelle de cette frustration/ culpabilisation accapare toute l’énergie dont elle a besoin pour passer à l’action.
La solution ? Arrêter de prendre cette norme sociale comme objectif pour construire une norme personnalisée, adaptée à elle.
Un AMO (assistant à maitrise d’ouvrage) fait le pont entre le particulier désireux d’aménager sa salle de bain, l’administration qui aide au financement des travaux et les artisans qui réaliseront les travaux.
Le (faux) enjeu : permettre aux personnes d’adapter leur logement.
Le problème : le désengagement des particuliers (et donc le non recours aux aides) tant bien même ils sont conscients des limites de leur logement et de l’existence des aides à l’aménagement.
Le (vrai) enjeu : dépasser le blocage psychologique du particulier qui entraîne son désengagement
Et ce blocage psychologique est finalement assez simple puisqu’il peut se résumer en une “balance bénéfices-risques”. Mais qu’est-ce que cela signifie ?
Réponse a : gagner en confort
Réponse b : gagner en sécurité
Réponse c : valoriser son patrimoine
Réponse d : la réponse d
Attention, l’individu n’est pas rationnel dans sa prise de décision. Il peut la rationaliser après coup, mais la décision telle qu’elle se prend dans le cerveau n’est pas rationnelle.
Évidement, toutes ces réponses sont justes sur le plan rationnel, mais je vous l’ai dit, ce n’est pas une question de rationalité.
Il est ici question non des bénéfices de la fin des travaux, mais des bénéfices de recourir à l’AMO (là était le piège !). Le blocage psychologique est le flou et l’imprévisibilité de la situation. Le bénéfice est la clarté et l’assurance que tout suit son cours !
Et le risque en jeu ici ?
Non ce n’est pas le risque de chute.
Le vrai risque est la frustration/culpabilité qui accompagne une action qui n’est pas menée à son terme.
La personne qui a fait les démarches pour comprendre les aides possibles et qui est consciente du besoin d’aménager sa salle de bain a envie d’aller jusqu’au bout. Si elle se sent incapable d’aller jusqu’au bout, elle préfère limiter les frais, se protéger, et annuler sa démarche. C’est là que se loge sa vraie douleur !
Et c’est sur cette douleur que vous devez positionner votre service !
Un exemple très simple pour comprendre : on préfère souvent refuser de commencer à manger un bonbon car si on met la main dans le paquet, on sait qu’on en mangera plusieurs !
Je ne rentrerai pas dans le détail des recommandations qu’on a faites, car cela n’appartient qu’à notre client.
Mais vous comprenez l’idée : pour convaincre les personnes d’adhérer à votre produit, service, dispositif, aide, vous ne devez pas seulement comprendre ce qu’elles pourraient obtenir, vous devez aussi comprendre les bonnes raisons qu’elles ont de refuser !
Antoine